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Pourquoi et comment réformer le marché du travail ?
Pourquoi réformer le marché du travail ? Pour permettre aux jeunes de trouver rapidement un premier emploi. Aux entreprises qui les embauchent, de les garder et de les former. Aux travailleurs qui perdent leur emploi après une séparation pour raisons économiques ou personnelles, de reprendre rapidement un autre emploi. Et de travailler jusqu'à la retraite.
On en est loin. Le taux de chômage des jeunes est très élevé. Les plus chanceux enchaînent contrats en intérim et CDD, avec l'espoir, souvent déçu, de décrocher un CDI. Comme les contrats à durée déterminée sont généralement courts, les entreprises n'investissent guère dans la formation. Comme les contraintes liées au licenciement d'un CDI sont fortes, les entreprises hésitent à transformer les CDD en CDI. Comme ceux qui perdent un CDI ont peu de chances d'en retrouver un, ils tombent dans la galère, voire pire : s'ils ont dépassé 50 ans, ils n'ont quasiment aucune chance de retrouver un travail. La crise a accentué ces problèmes, mais ils étaient présents avant : ce sont des défauts structurels spécifiques à la France.
Ils commencent certainement avant l'entrée dans la vie active, tant l'inadéquation est flagrante entre système d'éducation et marché du travail. Mais cela est un autre chantier, d'une immense ampleur. Pour le moment, il est plus raisonnable de prendre la situation telle qu'elle est.
Il faut d'abord inciter les entreprises à engager des jeunes. Pour les moins qualifiés, les plus exposés au chômage, un salaire minimum d'embauche inférieur au smic peut être nécessaire, au moins pour quelques mois. Je sais que cela fait grincer des dents, mais l'essentiel n'est-il pas de trouver un premier emploi, s'il est le début d'une vraie carrière ? Pour être décent, ce salaire peut être complété par un revenu versé par l'Etat, comme une prime à l'emploi.
Il faut ensuite que les entreprises aient intérêt à garder ces jeunes et à les former. Trop souvent, les contraintes supplémentaires associées à la rupture d'un CDI font hésiter les entreprises à y recourir. Elles maintiennent donc des CDD, bien qu'il s'agisse d'une fausse bonne solution : les employeurs ne sont pas incités à former les salariés embauchés sous ce type de contrat. Jean Tirole et moi-même avons proposé le remplacement du système actuel de CDD et CDI par un contrat unique : les indemnités de licenciement augmenteraient progressivement avec l'ancienneté. L'effet de seuil lié au passage du CDD au CDI disparaîtrait, et les entreprises auraient davantage intérêt à investir dans leurs employés, et moins à les licencier. Pour la même raison, nous avons proposé un système d'allocations-chômage où les entreprises contribueraient d'autant plus qu'elles licencient, selon le principe du pollueur-payeur. Il faut enfin que le coût de la rupture du contrat soit bien défini à l'avance : trop souvent, les indemnités décidées par les prud'hommes relèvent de la loterie, soit en faveur de l'entreprise, soit des salariés.
Dans une société moderne, la création et la destruction d'emplois sont inéluctables, exposant les travailleurs à des périodes de chômage. Là encore, la formation, l'aide à la recherche d'emploi, le versement d'allocations-chômage, généreuses mais limitées dans le temps, sont indispensables. Soyons clairs : les moyens financiers et humains de Pôle emploi, ainsi que le rôle du secteur privé dans la formation et la réinsertion, doivent être considérablement renforcés.
Enfin, les relations sociales, les relations entre syndicats et patronat doivent être améliorées. Aujourd'hui, elles sont marquées par la défiance. Derrière chaque tentative de réforme, certains croient déceler des motifs cachés, inspirés en sous-main par le patronat. D'autres interprètent la réaction des syndicats comme une défense de leur pré carré ou des intérêts particuliers de groupes de travailleurs. Retrouver la confiance est essentiel, mais prendra du temps. Dans une première étape, il faudrait assurer une meilleure représentativité des syndicats. Le taux d'adhésion des salariés à ces organisations est beaucoup trop bas en France pour leur donner une légitimité suffisante dans les négociations. Deuxième étape, il est nécessaire de créer une instance permanente de discussion des grandes orientations, au niveau national, qu'il s'agisse des problèmes de compétitivité, des problèmes de formation, ou de nouvelles formes de travail telles que le statut de travailleur indépendant à la Uber. On ne peut se contenter de ces quelques grandes journées actuellement organisées par le gouvernement : consacrées à la fixation de l'agenda social, elles n'ont qu'un retentissement médiatique, et cela ne suffit pas. Troisième étape, il faut conclure des accords de branches pour établir des règles minimales, modulables, au cas par cas, par des accords d'entreprises.
La loi El Khomri (dans sa version initiale) s'attaque à certains de ces problèmes, et représente quelques pas dans la bonne direction. Mais elle est partielle, a été mal expliquée, avec les effets que l'on voit. Elle représente toutefois un progrès, et j'espère qu'elle passera sans être trop défigurée. Cela dit, beaucoup restera à faire. Alors, arrêtons de nous insulter, de nous prêter des arrière-pensées, et mettons-nous au travail.
(1) Olivier Blanchard a rejoint le Peterson Institute for International Economics, prestigieux think tank de Washington, en octobre 2015.
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